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LA THÉORIE DE PETROVIC

Il construit un modèle cybernétique dans le rôle déterminant est accordé aux facteurs génétiques sur les cartilages primaires et un rôle plus faible aux cartilages secondaires dont le cartilage condylien.1

Il dit que les facteurs génétiques intrinsèques sont plus forts sur les cartilages primaires de la base du crâne et sur l'expansion du septum cartilagineux médian. Cette influence est plus faible sur les cartilages secondaires.

Les facteurs épigénétiques généraux, comme la STH, interviennent aussi sur ces constituants cartilagineux. Les facteurs environnementaux locaux comme :

  • Les actions mécaniques de la confrontation occluso-articulaire,
  • De la langue,
  • Du frein méniscal et du ptérygoïdien latéral,
  • Couplage ptérygo-condylien,…
  • Ou généraux, comme la vascularisation du frein méniscal postérieur,

Sont impliqués dans les mécanismes de ce modèle cybernétique.

LA THÉORIE DE DELAIRE :

Reprenant les anciennes théories de croissance, il reconnaît une dépendance plus étroite des structures cartilagineuses primaires vis à vis des facteurs génétiques, et à moindre degré des cartilages secondaires. Les structures membraneuses, dépendent plus du milieu environnant local, mais au niveau de la face, il estime que les pièces squelettiques dépendent directement pour leur croissance des déplacements et des influences qu'elles subissent.2

La contribution de ce professeur à l'orthodontie est énorme. Ses différentes thèses servent aussi l'ostéopathe.
L'une de ses premières études concerne l'analyse céphalométrique de profil.3 Elle est peu d'intérêt direct pour nous, en revanche sa façon de l'expliquer est capitale.
En effet, tout comme Delattre et Fénart,4 il parle de l'hominisation du crâne et il explique comment la bipédie a profondément modifié la croissance du pôle céphalique. Cette aspect phylogénique est important car il permet de comprendre le rôle des membranes de tension réciproque, la faux du cerveau et la tente du cervelet. Il décrit un équilibre mécanique entre d'une part les contraintes des muscles céphaliques postérieurs tractant la base du crâne en arrière et le poids des viscères en avant, le tractus vélo-pharyngo-laryngé, se terminant avec la trachée et les bronches d'une part et d'autre part l'œsophage et l'estomac.

On connait ainsi ces schémas5 :

Delaire J. Essai d’interprétation des principaux mécanismes liant la statique à la morphogenèse céphalique. Déductions cliniques. Actualités Odonto-stomatologiques. 130. 1980. 189-220.
Delaire J. Essai d’interprétation des principaux mécanismes liant la statique à la morphogenèse céphalique. Déductions cliniques. Actualités Odonto-stomatologiques. 130. 1980. 189-220.

La lecture de ses écrits est pour les ostéopathes une mine de justifications quant à leurs actions et à la justification des mécanismes lésionnels. En prenant appui sur les connaissances de l'époque (Beauvieux ou Virchow6) sur l'angle sphénoïdal (angle que fait le basion occipital avec le sphénoïde), il implique la bipédie comme facteur déterminant dans la flexion basicrânienne, et explique les relations entre le placement des rochers (angle bi-pétreux) et le degrés de flexion de la synchondrose sphénobasilaire. Plus la synchondrose sphénobasilaire est fléchie, plus l'angle bi-pétreux est ouvert, ce qui implique une avancée de la mandibule et favorise les classes III squelettiques, et inversement, plus la synchondrose sphénobasilaire est en extension, moins l'angle bi-pétreux est ouvert, et cela participe à un recul de la mandibule et favorise les classes II squelettiques. Secondairement, il décrira les phénomènes d'ostéo-apposition responsables de la croissance de cette synchondrose.

Plus récemment, il construit un concept de croissance corticale dans lequel il montre que "les conceptions classiques attachaient trop d'importance à la nature cartilagineuse des "synchondroses-sutures" de la base du crâne et on en avait abusivement déduit que leur croissance étaient "primaire" et autonome."7 Ainsi "le développement de la plus grande partie de la base du crâne et celui des éléments du système nerveux central situés à leur contact sont synchrone et de type "neural".
En effet, "les conceptions classiques selon lesquelles le développement de la base du crâne dépend fondamentalement de l'activité de croissance de type cartilagineux primaire de la synchondrose sphénobasilaire (et serait de ce fait totalement prédéterminé) sont obsolètes."8

Il décrit deux zones de croissance de type "neural", c'est à dire corrélés à la croissance du système nerveux central, ce sont les territoires allant :
Du foramen cæcum à la selle turcique,
Du basion au plus grand bombé postérieur de l'écaille occipitale,
Et deux autres qui se développe jusqu'à la fin de la croissance staturale, ce sont les territoires allant :
Du foramen cæcum au nasion (territoire frontal antérieur),
Des apophyses clinoïdes postérieures au basion (territoire sphénobasilaire).

À propos de la croissance faciale et maxillaire, il les décrira selon un concept "cortical". En reprenant les théorie de Scott, il dira que les contraintes induites par les différentes étapes de croissance, du télencéphale, de la cavité orbitaire, du septum cartilagineux médian (septum nasal), … séparent les tables interne et externe du frontal et cela aboutit à la formation de la cavité sinusale frontale. Avec le même principe, il explique les rotations de croissance du maxillaire.9

D’après : Delaire J. Le concept “cortical”. CEO, Paris. International Orthodontics. 2006. 4, 241-260.

L'intérêt pour nous est énorme, toute compression suturale, tant au niveau de la voûte, de la base ou de la face est une entrave à la croissance eumorphique.

LA MORPHOGENÈSE SELON M.J DESHAYE :

L’auteure s'interroge sur le nombre si important d'enfants devant être traité orthodontiquement. Elle cite un rapport l'union française pour la santé bucco-dentaire de 1998 dans lequel il est dit que sur 1470 enfants, âgés de 7 ans, 70% ont besoin d'un traitement orthodontique.10 Cherchant des réponses, elle fait appel à une anthropologue, A Dambricourt-Malasse qui décrit l'évolution de l'extrémité céphalique par pallier.11 Chaque pallier correspond à une contraction crânio-faciale associée à une augmentation de la flexion de la synchondrose sphénobasilaire.

Pour s'aider dans ses recherches, elle essaie de comprendre les théories ostéopathiques crâniennes, qu'elle nomme biodynamique crânienne.12

Pour elle, la morphogenèse céphalique se fait par un programme de flexion plus ou moins contrariée de la synchondrose sphénobasilaire et par des facteurs morphomécaniques locaux expliqués par les ostéopathes. Elle milite pour une prise en charge orthodontique précoce, soit avant 6 ans.

Pour cette auteure, il existe "une synergie entre la flexion du tube neural et la cinétique occipito-sphéno-ethmoïdale".13 Elle parle de dysharmonie crânio-faciale primitive pour ce qui a trait au défaut de croissance de la synchondrose sphénobasilaire et de discordance crânio-faciale lorsque les fibroses suturales de la voûte ou de la face provoquent un dysmorphisme de croissance.14

LA THÉORIE DE PLANAS :

Pour cet auteur, la mastication est obligatoirement unilatérale alternée. Cela implique d'une part qu'en diduction (mouvement de latéralité), l'ensemble d'une hémi-arcade est au contact de l'autre (et non une dent comme c'est trop souvent le cas) et une occlusion permettant cette latéralité.15

En effet, si nous observons nos patients porteurs de dysfonction crânio-mandibulaire, bien souvent, (mais ce n'est pas toujours le cas), la seule façon d'avoir une occlusion alternée est d'ouvrir la bouche ce qui pour Planas n'est pas physiologique et encore moins fonctionnel, puisque ontogéniquement, la fonction de latéralité occlusale apparait vers les 11 mois.16, 17, 18
Dit autrement, l'ATM doit fonctionner avec une latéralité pour le broyage du bol alimentaire et non seulement avec une ouverture, et encore moins des mouvements antéro-postérieurs.

Sa méthode de traitement est assez originale, par l'intermédiaires de "plaques à pistes", il restaure les angles fonctionnels de mastication physiologique, et permet à la mandibule de pouvoir glisser latéralement sous les maxillaires. Ce type d'appareillage, permet, en augmentant la dimension verticale d'ouverture (DVO), et grâce à l'action du milieu environnant, de stimuler la juste croissance des maxillaires et de la mandibule.

Images consultables sur le site : http://www.holodent.com/
Images consultables sur le site : http://www.holodent.com/

Cette théorie a un sens particulier pour l'ostéopathe. En effet, la fréquence de contractures et de spasmes d'un ou des deux faisceaux du ptérygoïdien latéral (qui intervient dans l'ouverture buccale et dans le déplacement méniscal de l'articulation temporo-mandibulaire) est hautement élevée, voire quasi constante dans les dysfonctions crânio-mandibulaires.

En mastication latérale alternée, ces muscles doivent pouvoir se contracter alternativement, mais surtout se relâcher. Je ne suis pas orthodontiste, et ne peut juger de la qualité de cette théorie là, sur le plan de la croissance maxillo-faciale mais mon observation clinique montre que, plus les patients ont des dents qui se recouvrent et ne peuvent faire des mouvements de latéralité, en ayant un espace interincisif minimal, plus ces patients ont des contractures parasites, des dysynchronismes musculaires entre les ptérygoïdiens et masséters (lesquels ont une projection référées dans l'oreille, pouvant provoquer des acouphènes).20

CONCLUSION DES THÉORIES DE CROISSANCE :

Toutes ces théories de croissance sont extrêmement intéressantes puisque les fonctions neuro-cognitives se mettent en place, en partie, grâce aux perceptions somesthésiques et proprioceptives. Quid du développement d'un enfant qui aurait une cavité orbitaire plus étroite que l'autre avec ce que cela sous-entend sur les muscles extra-oculaires. De-même pour un occiput plus vertical d'un côté que de l'autre avec les muscles sous-occipitaux ou bien une branche verticale de mandibule plus oblique que l'autre avec les muscles manducateurs ?

Tous les auteurs, même pour les théories les plus ancrées dans une théorie, s'accordent à expliquer la croissance céphalique par une alchimie entre les facteurs génétiques (qu'ils soient intrinsèques ou extrinsèques), et le milieu environnant. Nos actions thérapeutiques, que nous soyons ostéopathes, occlusodontistes, podologues ou orthoptistes consistent soit par une action directe à changer le milieu environnant, soit par une action indirecte neuro-cognitivement induite à modifier nos comportements et nos régulations neuro-toniques ou hormonales.

Mais, dans les deux cas, nous pouvons aussi modifier les facteurs génétiques par l'intermédiaire de la mécano-transduction. Pour conclure, je citerai Cohen-Levy et Berdal : "A la lumière des expériences récentes, qui montrent que les contraintes transmises aux tissus, puis aux cellules, sont transformées en signaux qui, à leur tour, régulent l'expression génique, la prolifération cellulaire, la maturation et la synthèse de matrice extra-cellulaire, il ne convient plus d'opposer le composant environnemental au composant génétique. Il s'agit plus de percevoir leur contribution respective, qui peut différer considérablement en fonction des structures."21

Il est fascinant de voir à quel point la littérature orthodontique s'accorde à dire que la base du crâne est le terrain à bâtir de la face.22 L'ensemble des analyses céphalométriques prennent comme référence la base du crâne et l'apophyse odontoïde de C2 pour évaluer la croissance crânio-faciale23 alors que consensuellement ils s'accordent à penser qu'il ne peuvent avoir d'action sur cette même base et notamment la synchondrose sphénobasilaire.24 L'ostéopathie est alors, la thérapie la plus à même de travailler sur ces structures.25


1 : Petrovic A. Analyse biologique des processus de contrôle de la croissance postnatale de la mandibule et du maxillaire. In Chateau M. Orthopédie dento-faciale : bases fondamentales. (p 40-71). J Prelat ed, Paris 1973
2 : Lautrou A. Croissance faciale : théories explicatives et clinique orthodontique. Rev Orthop Dento Faciale. 28. 1994. 433-453.
3 : Delaire J. L’analyse architecturale crânio-faciale (de profil). Revue de Stomatologie, Paris. Masson. 1978. 1-33.
4: Delattre A, Fénart R. L’hominisation du crâne étudiée par la méthode vestibulaire. Centre National de la Recherche Scientifique. 1960.
5 : Delaire J. Essai d’interprétation des principaux mécanismes liant la statique à la morphogenèse céphalique. Déductions cliniques. Actualités Odonto-
stomatologiques. 130. 1980. 189-220.
6: Beauvieux J. Essai d’une systématisation anthropologique et comparative de l’architecture cranio-faciale. Bull et Mem.de la soc. d’Anthrop. de Paris.
Tome VII, 9e s. 1946. 105-139
7 : Delaire J. Le développement “adaptatif” de la base du crâne. Justification du traitement précoce des dysmorphoses de classe III. Rev Orthop Dento
Faciale. 37. 2003. 243-265.
8 : Delaire J. Le développement “adaptatif” de la base du crâne. Justification du traitement précoce des dysmorphoses de classe III. Rev Orthop Dento
Faciale. 37. 2003. 243-265.
9 : Delaire J. Le concept “cortical”. CEO, Paris. International Orthodontics. 2006. 4, 241-260.
10 : Deshayes M.J. La morphogenèse crânio-faciale. Rev Orthop Dento Faciale. 32. 1998. 299-310.
11 : Deshayes M.J, Dambricourt-Malasse A. Analyse des différents types architecturaux crânio-faciaux par l’approche ontogénique de l’hominisation.
Revue de Stomatologie Chirurgicale Maxillofaciale. N°4. Masson. 1990. 249-258.
12 : Deshayes M.J. La biodynamique crânio-faciale. Rev Orthop Dento Faciale. 22. 1988. 283-298.
13 : Deshayes M.J. Reconsidération de la croissance crânio-faciale au cours du développement et de l’évolution. Conséquences en orthopédie dento-
maxillo-faciale. Rev Orthop Dento Faciale. 25. 1991. 353-365.
14 : Deshayes M.J. Reconsidération de la croissance crânio-faciale au cours du développement et de l’évolution. Conséquences en orthopédie dento-
maxillo-faciale. Rev Orthop Dento Faciale. 25. 1991. 353-365.
15 : De Salvador-Planas C. Séméiologie de la mastication. Rev Orthop Dento Faciale. Vol 35. 2001. 319-336.
16 : Gaspard M. Acquisition et exercice de la fonction masticatrice chez l’enfant et l’adolescent (1ère partie). Rev Orthop Dento Faciale. Vol 35. 2001.
349-403.
17 : Gaspard M. Acquisition et exercice de la fonction masticatrice chez l’enfant et l’adolescent (2ème partie). Rev Orthop Dento Faciale. Vol 35. 2001.
519-554.
18 : Gaspard M. Acquisition et exercice de la fonction masticatrice chez l’enfant et l’adolescent (3ème partie). Rev Orthop Dento Faciale. Vol 36. 2002.
11-36.
19 : http://www.holodent.com/
20 : Travel Janet G, Simons David G. Douleurs et troubles fonctionnels myofasciaux. Traité des points-détente musculaires. Hémicorps supérieur, tête,
tronc et membres supérieurs. Tome 1. Haug. 1993.
21 : Cohen-levy J, Berdal A. Les jumeaux : une réponse à la question de l’influence génétique/environnement sur le développement. Orthod Fr. 78. EDP
Sciences, SFODF. 2007. 63-67.
22 : Delaire J, Billet J, Ferré J.C, Faucher O, Julia P. Malformations faciales et asymétrie de la base du crâne. (Un nouveau syndrome intéressant
l’orthodontiste). Revue de Stomatologie, Paris. 66 N° 7-8. 1965. 379-396.
23 : Aknin J.-J. Croissance crâniofaciale. Odontologie/Orthopédie dentofaciale. 23-455-C-10. Encycl Méd Chir (Editions scientifiques et médicales Elsevier
SAS, Paris, Tous droits réservés). 2008.
24 : Beaugrand-Coutière A. Classe II et croissance : Attitudes préventive et interceptive. Thèse pour le Diplôme d’Etat de Docteur en Chirurgie Dentaire.
Univ Paris V. 2004.
25 : Géhin A. Technique ostéopathique crânienne. Masson. 2005.