LES ENTRÉES DE NOTRE SYSTÈME POSTURAL D’APLOMB
Les entrées sont multiples, on distingue les endocapteurs et les exocapteurs, ceux qui nous renseigne sur notre propre corps, ceux qui nous renseigne sur le milieu extérieur. Chaque groupe d'entrée sensorielle donne une référence cognitive, on parle de :
- Référentiel égocentré (Lepecq 1983),
- Référentiel géocentré (Barra et Coll 2008),
- Référentiel allocentré (Matheron, Weber 2006).
Chaque référentiel nous donne une perception de la verticale, on parle alors de :
- Verticale haptique (Viel et coll 2007),
- Verticale vestibulaire, terrestre, ou posturale (Joassin et Coll 2006),
- Verticale visuelle (Lopez et Coll 2006).
Ces trois verticales sont, dans l'idéal, les mêmes et coïncident avec la verticale du fil à plomb. Cependant, en fonction de diverses pathologies, comme le strabisme, nous verrons qu'elles sont subjectives et parfois très éloignée les unes des autres. La représentation interne de la verticalité est régulièrement mise à jour par l'intégration permanente des informations visuelles, vestibulaires et somesthésiques (Mittelstaedt 1998).
I. LE RÉFÉRENTIEL ÉGOCENTRÉ :
A. Les structures concernées :
Il s'agit de nos muscles, tendons, ligaments, la peau, certains méso et fascias abdominaux, mais aussi l'os (pallesthésie). La proprioception et la somesthésie plus généralement est essentielle pour avoir la connaissance de nous même. En 1907, Husserl exprimait déjà cette idée : "Il n'y a pas là de corps, et pas de chose" (Husserl 1907). Sans proprioception, nous n'existons pas. "La charpente corporelle et l'enveloppe qui en délimite les contours, assurant les interactions avec l'espace extérieur, ont perdu toute réalité. Le corps n'a plus de poids, plus de limite, il est devenu silencieux." (Roll, Roll 2004).
B. Les récepteurs impliqués :
Si la proprioception est l'ensemble de nos perception corporelle, il semble logique que chaque tissu ait ses propres récepteurs. Il en existe ainsi dans la peau (Pocock, Richards 2004), le système viscéral (Berthoz 2008), la sole plantaire (Janin, Dupui 2007), (Villeuneuve et Coll 1995), (Janin 2007), dans l'appareil stomato-gognathique (Raberin 2007), (Dupas 2008) et ce que nous allons voir ensemble, le muscle et les tendons.
1. Le fuseau neuro-musculaire :
Honneur à ce qui a été décrit en premier par Sherrington. Il existe plusieurs fibres sensitives d'origine musculaire :
Les fibres qui nous intéressent sont les fibres Ia et II. Ce sont les fibres du fuseau neuro-musculaire.
Les fibres Ia sont les fibres de gros calibre à vitesse de conduction rapide et renseignent sur la variation de l'allongement du muscle, tandis que les fibres II sont de calibre plus fin, avec une vitesse de conduction plus lente et renseignent sur la longueur instantanée du muscle. En d'autres terme, les fibres Ia codent l'allongement à partir duquel le réflexe myotatique s'enclenche, les fibres II règlent la pré-tension du fuseau neuro-musculaire pour coder la sensibilité à l'étirement avant que le réflexe myotatique ne s'enclenche (Richard et Orsal 2007).
2. Les tendons :
Il s'agit des organes tendineux de Golgi, renvoyant les fibres Ib. Ces organes codent pour la force musculaire. Ils ne déchargent que si le muscle est tendu à l'extrême et met en péril son intégrité. Ces fibres participent au réflexe myotatique inverse (Pocock, Richards 2004).
D'autres récepteurs ne sont pas spécifiques à la fibre musculaire. Ils renseignent sur la pression, les vibrations, et la douleur.
II. LE RÉFÉRENTIEL GÉOCENTRÉ :
C'est la position de notre corps par rapport à la verticale terrestre qui est une accélération (c'est comme cela depuis Newton, on l'a déjà dit).
Comme les pigeons qui ont été à l'origine de cette découverte (Flourens 1829), notre centrale inertielle se trouve dans notre oreille interne, en arrière de la cochlée qui nous sert à entendre, c'est le vestibule.
Nous ne détaillerons pas aujourd'hui le système vestibulaire. Lorsque nous parlerons de l'intégration hétéromodalitaire, nous verrons le principe du réflexe vestibulo-oculaire, et comment chez le strabique, il peut être perturbé.
III. LE RÉFÉRENTIEL VISUEL :
L'œil se décompose en trois parties :
- L'œil visuel, dont les informations sont véhiculées par la IIème paire de nerf crânien.
- L'œil musculaire :
- Intrinsèque, dont les informations sont véhiculées par le III,
- Extrinsèque, dont les informations sont véhiculées par les III, IV et VIèmes paires de nerfs crâniens.
- L’œil neuro-végétatif, dont les informations sont véhiculées par le V1.
Le V1 est un nerf particulier car :
- Allant au ganglion ciliaire, il concerne la motricité interne,
- S’anastomosant au III, IV et VI, il concerne la motricité externe,
- S’anastomosant au V2 et V3, il concerne l’occlusion dentaire,
- S’anastomosant au plexus cervical, il concerne la motricité nucale.
- S’anastomosant au noyau dorsal du vague, il concerne l’ensemble du système neuro-végétatif du corps (la vessie comprise).
- 12 paires de nerfs crâniens,
→ 5, soit presque la moitié, sont dévolus à la vision.
A. Les différents types de vision :
Les informations visuelles sont captées par les cônes et les bâtonnets de la rétine. Les voies optiques projettent ces informations sensorielles sur le cortex occipital et sur le colliculus supérieur, donnant les repères visuels de verticalité (Montoya 2006). Mais en fonction de l'endroit où se trouvent ces récepteurs, le codage des informations visuelles est différent, tant au niveau des récepteurs même, qu'au niveau de leur intégration centrale (Gazzaniga et Coll 2001).
1. La vision centrale :
C'est la voie du quoi (what). C'est la vision discriminative, des couleurs, et de l'acuité. La vision maculaire et spécifiquement fovéale nous permet, à nous primates (Gasc 2004), d'avoir une perception fine des détails.
2. La vision périphérique :
C'est la voie du où (where). Elle permet le repérage dans l'espace d'un objet qui bouge (par les mouvements de saccades) ou de nous en train de bouger dans un environnement stable.
Le flux optique est l'ensemble des modifications de l'image rétinienne lorsqu'il y a un mouvement relatif de l'observateur, relativement à l'environnement. Il est spécifique du type de mouvement (Collet 2001).
3. La vision binoculaire :
Elle permet la stéréoscopie ou la vision en 3D. C'est la perception de la profondeur et de l'espace. La vision binoculaire implique au système nerveux central la contrainte de maintenir les deux maculae sur l'objet fixé. Sinon c'est la diplopie (Péchereau 2007). La fusion ne peut être réalisée que si l'accommodation est juste et précise. L'accommodation se fait par trois mécanismes :
La vergence,
La modification de courbure du cristallin,
La modification du diaphragme pupillaire (Waligora et Coll 1975).
4. La vision dynamique :
C'est la perception des mouvements absolus et/ou relatifs. Elle est en corrélation avec les muscles extra-oculaires et la vision périphérique.
B. La vision extra-oculaire :
1. On ne voit bien qu'avec nos muscles :
Aussi étrange que cela puisse paraître, on ne peut voir sans nos muscles extra-oculaires.
L’œil est un organe mobile dans une cavité qui ne l’est pas. Si la cavité osseuse est en dysfonction les courbes tension / longueur des muscles oculomoteurs seront perturbées.
Si un ou plusieurs muscles oculomoteurs sont en pathologie de sur-utilisation leurs courbes tension / longueur seront perturbées.
L’œil intervient dans de multiples élaborations des réflexes et est directement relié aux muscles posturaux sous-occipitaux.
Selon Gagey et Weber (Gagey et Weber 2004) : ”Le système postural ne peut utiliser les informations de position fournies par ces organes mobiles (l’œil) les uns par rapport aux autres que s’il connaît aussi leurs positions réciproques.
Les muscles oculomoteurs fournissent l’information de position réciproque de la rétine et des épithélium sensibles du vestibule (Gagey et Weber 2004).”
Pour Roll et Roll "un support postural adapté, voire stabilisé, représente la condition nécessaire à une prise d'information visuelle efficace" (Roll et Roll 1987).
2. Les muscles extra-oculaires :
Au nombre de 6 par œil, on distingue 4 muscles droits et 2 muscles ayant une action rotatoire, les obliques (Waligora 1975), (Netter 1997).
Pour Kapandji (Kapandji 2007), l'action des muscles obliques sert à compenser la rotation automatique qui a lieu lors d'un mouvement combiné dans deux plans de l'espace30. Si l'œil droit regarde en bas et en dehors, l'œil verse vers le nez et en haut. Il y a alors une contraction réflexe automatique de l'oblique inférieur pour contrer la rotation.
Nous verrons que les muscles obliques ne servent pas qu'à cela. En effet, pour qu'il puisse y avoir une vision dynamique, il faut que l'œil soit en mouvement. C'est par des mouvements de saccade que l'œil donne l'information sur l'espace. Le référentiel visuel sans la proprioception musculaire ne pourrait être (Roll et Roll 1987).
C. Les muscles extra-oculaires et la posture :
Pour Roll & Roll les muscles extra-oculaires sont l'interface entre deux espaces classiquement dissociés : l'espace corporel et l'espace des lieux. Les fuseaux neuro-musculaires des muscles extra-oculaires sont un lien très important dans notre cohérence et notre intégration multimodalitaire de notre perception.
Pour les mêmes auteurs, "la localisation d'un objet dans l'espace extra-corporel nécessite la prise en compte d'un double signal de position ; rétinien, lié à l'excentricité de l'objet et extra-rétinien, lié à la position de l'œil lui-même dans l'espace". Ainsi : "la proprioception extra-oculaire et nucale pourrait intervenir de façon déterminante dans le contrôle postural et l'orientation du corps en ce qui concerne l'établissement de références égocentrique sans lesquelles ne peuvent s'opérer avec succès les conduites dirigées vers/dans l'espace extrapersonnel".
Avec cette référence on commence à introduire une nouvelle notion. "L'interaction entre les différents référentiels. "les informations proprioceptives associées à la direction du regard ont un rôle majeur dans la mise en relation de l'espace corporel (statique ou dynamique) et de l'espace des lieux".
Dans une pièce expérimentale, dans laquelle les murs sont inclinés sur la verticale, l'observateur qui doit effectuer un jugement de verticalité verra sa perception de la verticale déviée (Ohlmann, Luyat 2001). On peut aussi noter que cette illusion est la même après stimulation du vestibule sur un fauteuil rotatoire (Tiliket et Coll 1996).
→ En somme l'œil rétinien et l'œil musculaire nous permet de placer un environnement par rapport à nous même et permet de nous placer par rapport à l'environnement.